Fin mai 1809 Anna Potocka (Mémoires) | rencontre avec Flahaut

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Fin mai 1809
Anna Potocka (Mémoires)
" A trois heures, un cabriolet s'arrêta à la porte, et le pas d'un cheval que je ne confondais jamais avec un autre fit battre mon cœur.
Nous étions à la fin de mai, mais il faisait un froid si piquant que j'avais fait allumer du feu ; voulant me donner une contenance, je me mis à tisonner. Il avança un fauteuil et s'assit auprès de moi sans rompre le silence. Je levai alors les yeux et fut péniblement frappée du changement que cette courte indisposition avait produit. Néanmoins, j'eus la dureté de lui dire :

Vous avez donc été réellement malade ?
Non, fit-il, pas trop, et maintenant je suis bien.
Qu'avez-vous ?
Rien réellement. J'ai souffert, mais c'est passé. Toutes les fois que j'éprouve de vives émotions, je crache le sang, voilà tout.
J'ai pensé à vous plus que vous ne croyez
Ah ! ne me dites pas cela ! ne parlez pas ainsi… Traitez-moi toujours en vieil ami ; vous n'avez voulu de moi qu'à ce titre-là."

Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.78-79)

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Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
1er janvier 1809 , Paris
Deux mots, mon cher Eugène, pour t'embrasser le jour de l'an. Puisse-t-elle être heureuse pour nous, et du moins puissions-nous nous voir cette année !
Je suis enchantée de nommer ma petite filleule ; je me sens déjà des entrailles pour elle. Embrasse-la ainsi que ma soeur. Quoique loin, nous nous entendons toujours, mon cher Eugène, car j'espérais déjà donner mon nom à ta petite fille et je l'ai déjà écrit à ma soeur.
Adieu, je t'embrasse.
Hortense

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Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
20 septembre 1809 , Plombières
Tu vas me dire que je suis une bête et tu auras raison : j'ai rêvé que tu étais malade et voilà qu'aujourd'hui je suis inquiète. Tu ne reconnais plus là mon esprit fort d'autrefois, mais comme on devient superstitieuse quand on a été malheureuse ! Je veux cependant aussi me guérir de cette maladie-là et je t'écris ma sottise, pour que tu te moques de moi. C'est aussi pour que tu me répondes, car voilà bien longtemps que je n'ai reçu de tes nouvelles. J'ai l'air d'une abandonnée dans ce trou de Plombières. J'ai écrit à l'Empereur deux fois ; il ne m'a pas répondu ; mais, lui, c'est différent, c'est comme le Bon Dieu : on l'aime toujours sans le voir ni l'entendre, on croit en lui, on espère en lui, et, pour faire la troisième vertu théologale, on compte sur sa charité. Mais toi qui, si j'étais juive, serais, tout au plus, le Saint-Esprit, je te prierai de ne pas faire un Messie de tes lettres et me les faire attendre si longtemps. Voici un mois que je suis seule, et je n'ai eu des nouvelles que par Paris. Tu ne m'a pas dit un mot de la santé de l'Empereur et c'est bien mal.
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Je quitte enfin Plombières, car le temps est vilain. Je suis toujours mieux, et, encore les eaux l'année prochaine, je serai entièrement rétablie.
J'avoue que depuis que mes enfants sont partis, je trouve la vie que nous menons un peu triste : je dessine, je fais des romances, tout cela m'occupe la matinée ; mais, le soir, je fais tous les jours une partie de casino avec Mme de Boufflers, un corps législatif, qui, avec un dragon dans l'oeil, a au moins un demi-siècle, et le préfet qui est notre jouvenceau.
Nous avons encore pour plaisir de voir sur son balcon ce pauvre Fister qui joue toute la journée au bilboquet. En sortant de la douche, il fut hier se mettre tout nu dans le bain, où plusieurs dames et messieurs se baignaient en chemise de laine. Tu vois que sa folie n'est pas dangereuse, puisqu'il se croit dans l'âge d'or, où l'on ne cachait rien ; mais les dames de Plombières, qui croient plutôt au siècle de fer, ont jeté des cris terribles, et l'ont laissé maître de la place en s'enfuyant de tous les côtés. Du reste, il ne montre pas d'autre folie : il est venu me voir, m'a assuré qu'il était guéri mais qu'il avait été bien malade ; qu'en Espagne il avait reçu cinq coups de poignard, et qu'après la bataille de Ratisbonne, il s'était perdu et avait traversé dix rivières à la nage. Soit exagération ou folie, je doute que les eaux de Plombières lui fassent grand bien.
L'estafette m'apporte enfin une lettre de toi ; mais elle vient par Paris, ce qui l'a beaucoup retardée. Le petit tableau de ta femme a dû te faire plaisir ; elle m'écrit aussi qu'elle est bien triste de ton absence.
Adieu, je t'embrasse, je ne técrirai plus que de Malmaison. On me dit que mes petits enfants ont supporté le voyage à merveille et que le petit a une dent de plus. Il me tarde de les embrasser ; je ne m'habitue pas depuis huit jours à être sans eux. Napoléon apprend un compliment pour l'Empereur, que je lui ai fait faire ; il t'étonnerait comme il est avancé pour son âge : il a de l'esprit, de la finesse, mais surtout un caractère étonnant pour son âge ; j'aime mieux cela, étant bien dirigé, qu'une faiblesse qui est toujours bien dangereuse dans sa position, mais il faut quelquefois un peu de sévérité, et l'Impératrice gâte tant que c'est moi qui dois faire peur. Il me disait aussi l'autre jour : "Toi, tu me gâtes quand je suis gentil ; mais, que je sois gentil ou non, grand'maman me gâte toujours." Ceci n'est pas étonnant car les enfants font attention à tout, mais il disait aussi à une de ces dames qu'on voulait faire jouer du trictrac et qui avouait qu'elle n'en savait rien : "Pourquoi dis-tu que tu ne sais pas ? Il y a tant de gens qui disent qu'ils savent et qui ne savent rien ; joue toujours." Tu avoueras que c'est un peu fort pour un enfant. Heureusement qu'il se porte à merveille, car cela m'inquiète quelquefois.
Adieu. Je t'en prie, de tes nouvelles, car, sans croire aux rêves, je désire en avoir.
Hortense

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Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
23 août 1809 , Plombières
L'Impératrice est arrivée à Malmaison bien portante, mon cher Eugène. Moi, je reste encore à Plombières avec mes enfants. Le temps est superbe et les eaux commencent réellement à me faire du bien ; d'ailleurs je suis tranquille ici.
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Paris, sans l'Empereur, est une chose triste, et je redoute de rentrer dans le grand monde : aussi, à moins que l'Empereur ne revienne, je resterai ici autant que la saison le permettra. Nos plaisirs ne sont pas bien bruyants : je me lève à sept heures pour me baigner, je prends mon lait, je me recouche, je déjeune à onze heures. Je vais me promener avec mes enfants ; je dessine d'après nature ; ils jouent avec des pierres, de l'eau ; le petit veut en tout imiter son frère ; je dîne à six heures ; toutes les personnes qui me sont présentées viennent comme elles venaient chez l'Impératrice ; on fait une partie ; nous faisons quelquefois un peu de musique et tout cela finit à neuf heures du soir où je vais me coucher. C'est une vie bien douce. Nous n'avons en gens aimables que M. de Boufflers, qui l'était autrefois : il nous lit des contes ; il se ressouvient de son esprit, mais il n'en a plus ; sa femme est mieux ; elle me fait des romances que je mets en musique. Mme de Coigny est une de tes anciennes amies ; sa gaieté et son esprit n'ont pas vieilli et nous parlons souvent de toi. Après cela, il faut tirer l'échelle. Nous avons bien encore un nouveau chambellan de l'Empereur, mais qui n'est qu'un bon enfant et voilà tout. Tu vois que tout cela n'est pas très amusant, mais cela m'est égal. Je craindrais de m'amuser davantage parce que je n'ai besoin et je ne veux que de la tranquillité.
Je ne te parle pas de notre grand bonheur qui est de recevoir l'estafette. Malheureusement notre attente est souvent trompée : pas de nouvelles depuis le départ de l'Impératrice. J'aurais envie de payer quelqu'un pour m'écrire, car on a l'air abandonné du genre humain. Je ne te gronde pas encore cependant, car je serais injuste, mais si tu n'écris pas, cela viendrait peut-être bientôt.
J'ai reçu une lettre de ma belle-soeur qui me parle de Mme Visconti ; elle t'en aura sans doute parlé elle aussi : elle ne peut pas croire que sa cousine soit bien avec elle et que ce soit même son amie intime ; cela fait qu'elle l'a reçue très froidement. L'autre, qui est habituée à être gâtée, aura été fort étonnée ; je ne sais que répondre à ma soeur sur cela. Elle a le bonheur d'être princesse sans connaître une cour, et c'est un grand bonheur ; j'étais bien comme elle, mais, malheureusement, on apprend tous les jours, à ses dépens, qu'il faut bien recevoir tout le monde.
Adieu, je t'embrasse tendrement ; présente mes respects à l'Empereur, je t'en prie.
Hortense

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Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
25 janvier 1809 , Paris
Enfin, l'Empereur est arrivé, mon cher Eugène, et il se porte à merveille : nous allons donc être un peu plus gais ; je t'assure que j'en ai besoin. Ma santé n'est pas bonne et j'ai bien besoin d'un peu de bonheur et de tranquillité.
Je ne sais pas ce que l'Empereur voudra bien décider pour moi, mais, pourvu qu'il veuille s'en mêler, c'est tout ce que je désire, car il est trop juste pour que je ne sois pas contente de sa décision.
J'espère que ta petite Eugénie se porte bien ; je l'embrasse ainsi que sa soeur. Mille choses à ta femme.
Hortense

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Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
28 avril 1809 , Strasbourg
Nous venons de recevoir ta lettre, l'Impératrice et moi, mon cher Eugène ; elle nous afflige parce que nous craignons que tu ne te fasses du chagrin, et tu aurais bien tort : l'Empereur ne peut pas être fâché que tu n'aies pas été le plus fort ; tu auras bien fait ce que tu dois faire ; ainsi cela suffit. Ce que je te recommande bien, c'est de ne pas t'exposer ni perdre courage.
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Nous sommes à Strasbourg, attendant toujours avec impatience des nouvelles ; tu sais déjà celles d'Allemagne ; mais les ennemis ont tant de troupes que cela fait toujours trembler. Cependant en voilà au moins une soixantaine de prises ; le pays de Cassel vient de se révolter ; le roi de Westphalie nous envoie la Reine ici, et, comme il n'a pas de troupes, je ne sais trop comment il va faire.
Quand je suis partie de Paris, on craignait que l'expédition anglaise ne soit pour Livourne. Cela serait terrible pour toi ; enfin il faut esperer dans l'étoile et le génie de l'Empereur, car nous sommes vraiment dans un moment de crise et nous en avons déjà tant passé que cela sera encore de même cette fois.
Adieu, mon cher Eugène, attends bien que toutes les forces soient réunies pour te battre, je t'en prie, et, surtout, ménage-toi bien et ne t'attriste pas car c'est ce qui nous fait le plus de peine. L'Impératrice me charge de te dire qu'elle técrira demain ; elle t'embrasse ainsi que moi.
Mes enfants sont avec moi ; ils se portent à merveille.
Hortense
P.S. Nous n'avons pas de nouvelles de l'Empereur depuis le 23, après la bataille de Ratisbonne où on avait fait trente mille prisonniers, quatre mille chariots attelés, des canons et des drapeaux. A ce qu'il paraît, cette armée allait rejoindre celle de Bohême, mais, heureusement, l'Empereur l'a empêchée et détruite.

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Lettre d'Hortense de Beauharnais à son frère Eugène
30 avril 1809 , Strasbourg
J'ai réçu ta lettre, mon cher Eugène, et je vois avec plaisir que tu as un peu repris courage. L'Empereur se repose depuis deux jours. Nous avons reçu aujourd'hui des nouvelles du 26 : les avant-postes ont passé l'Inn. Ainsi j'espère que cela fera quelque chose pour l'armée d'Italie. Je t'engage bien à ne pas te laisser aller à l'ardeur de reprendre ta revanche, car ils sont bien nombreux et il vaut mieux ne rien gagner que de perdre quelque chose. Mais, ce que je te recommande le plus, c'est de ne pas t'exposer ; ce n'est pas un déshonneur que de perdre une bataille et tu es assez jeune pour, dans le courant de ta vie, pouvoir prendre ta revanche.
Mais à nous, ce qui nous importe le plus c'est que tu te portes bien et que tu ne t'affliges pas. Nous sommes très spartiates pour nos armées, mais pas du tout pour nos affections particulières, et mon premier désir est de savoir comment tu te portes avant de savoir où en est ton armée. Donne-moi donc le plus souvent que tu pourras de tes nouvelles. M. de Champagny, qui est passé hier pour aller rejoindre l'Empereur, nous a dit qu'à Paris les ministres savaient bien les affaires d'Italie et que tu te reployais, mais qu'on croyait que c'était d'accord avec l'Empereur, parce que, comme cela, l'armée autrichienne se trouverait prise entre deux feux, ce qui paraît très probable.
Adieu, mon cher Eugène, je suis bien contente de ce que tu me dis de ta femme. C'est un grand bonheur et que tu mérites bien. Je t'embrasse comme je t'aime.
La reine de Westphalie est arrivée hier ; elle a été obligée de se déguiser pour sortir de Cassel, mais, comme on y a envoyé du monde, on espère que cela n'aura pas de suite.
Hortense

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Mon cher ami,
Bien que ma main soit infirme, et peu en état d'écrire une longue lettre, je ne veux pas différer de répondre à la vôtre.
L'absence est une détestable chose, car lors même qu'elle n'agit pas - je l'espère du moins - sur le fond des affections, elle en change les expressions, et substitue à celles de l'amitié, une espèce de formalite à laquelle vous ne m'aviez pas accoutumé, et dont les sentimens que je vous ai conservés sont loin de s'accomoder. Sachez une fois pour toutes, et ma vie en a fourni quelques preuves, que mes sentimens sont durables, et que ni le tems ni l'absence n'ont d'influence sur mes rapports avec mes amis.
Ceci dit, venons au sujet de votre lettre. Elle me vient dans un moment peu opportun, l'Archiduc Charles étant à la campagne ; mais je verrai sont Grans maître le Général Comte de Grunne, et m'entendrai avec lui sur le meilleur moyen d'obtenir de Son Altesse Impériale les renseignements que vous désirez, et qu'Elle-même a intérêt à vous fournir.
En attendant que nous les ayions, permettez-moi de vous raconter une anecdote relative à notre premier passage du Danube qui vous prouvera que l'Empereur Napoléon ne s'attendait pas à la présence si rapprochée de l'armée de l'Archiduc. J'étais 1er aide de camp du prince de Neufchâtel et dans l'après-midi du 21 mai, veille de la bataille, au moment où les troupes passaient le petit bras du Danube, l'Empereur me voyant causer avec des chasseurs du 13è Régiment, qui revenaient blessés de l'avant-garde, m'appela et m'envoya voir ce qui s'y passait, avec ordre de revenir lui en rendre compte. Il n'y avait encore de passé que la cavalerie du Général Lasalle qui tiraillait avec l'ennemi. Le corps de Masséna arrivé à l'Ile de Lobau, s'apprêtait à suivre la cavalerie au-delà du petit bras.
J'allai d'abord au général Lasalle, et poussai ensuite jusqu'aux tirailleurs les plus avancés et j'y restai jusqu'à ce que la nuit mit fin au combat. Regardant alors avec attention du côté de l'ennemi, je crus apercevoir une très longue ligne de feux, fort clairsemés, il est vrai, mais si régulièrement établis, que je ne doutai pas de la présence d'un corps considérable de troupes.
De retour près de l'Empereur je lui fis part de ce que j'avais vu, et de la conviction qui en était résulté pour moi. Il parut fort surpris, et me fit répéter ce que je venais de lui dire, et, appelant le maréchal Masséna, il lui ordonna de passer avec moi de l'autre côté, sur la rive gauche du petit bras, pour voir ce qui en était.
Nous trouvâmes que nos troupes s'étaient, ainsi que cela se fait toujours la nuit, repliées fort en arrière du point jusqu'où je m'étais avancé, et, pour remédier à ce désavantage, et apercevoir aussi loin que possible, nous montâmes au clocher de l'église d'Essling.
On ne distinguait pas la ligne non interrompue de feux que j'avais aperçue, mais on en voyait assez pour que je pusse indiquer au Maréchal l'espace qu'elle occupait. Il serait trop long et superflu de mentionner ici, la discussion qui eut lieu entre nous, et dans laquelle le général Becker, son Chef d'Etat-major, partagea son opinion ; mais il déclara qu'il ne voyait rien qui indiquât la présence d'une Armée, ni même celle d'un corps considérable de troupes, et que par conséquent je m'étais trompé. Nous retournâmes près de l'Empereur qui était encore près du pont sur le petit bras, et le maréchal lui fit connaître son opinion. L'Empereur, après l'avoir écouté, ayant eu la bonté de se tourner vers moi, et de m'encourager du regard, je me permis de dire, qu'ayant le malheur d'être en désaccord avec le maréchal Masséna, il me siérait mal de maintenir mon opinion ; que cependant, m'étant trouvé en position de voir ce que l'on ne pouvait apercevoir du clocher, je ne croyais pas manquer au profond respect que je lui devais et que je lui portais, en conservant la conviction que j'avais exprimée à Sa Majesté, celle de la présence assez rapprochée d'un nombre considérable de troupes. Ainsi se termina l'entretien ; mais les événements du lendemain me donnèrent que trop raison, et je pense que si le maréchal eût été de mon avis, et que l'Empereur eût cru à la proximité de l'armée autrichienne, il ne serait pas sorti de l'Ile de Lobau, et n'aurait pas livré la bataille avant d'avoir réuni toutes ses troupes sur la rive gauche du grand bras.
Quant au moment où l'archiduc a appris notre passage près d'Essling, lui seul peut le dire ; mais vu le peu de mobilité des troupes autrichiennes et l'impossibilité de leur faire faire des marches forcées, sans laisser la plus grande partie des hommes en arrière, il doit avoir eu besoin de plusieurs jours, pour réunir ses troupes et concentrer son armée.
Jamais l'Empereur Napoléon n'a paru se souvenir de l'incident que je viens de vous raconter ; mais j'ai lieu de croire qu'il ne l'a pas oublié, car à dater de ce jour, il m'a traité avec une bonté particulière. Dans plusieurs circonstances il m'a désigné au Major Général, pour des missions de confiance, et à la fin de la retraite de Moscou il m'a fait l'honneur de me nommer son Aide de Camp.
Je pense que l'énergique résistance de nos troupes à la bataille d'Essling, a seule empêché qu'elles ne fussent jetées dans le fleuve ; mais je crois que si l'archiduc les eût fait attaquer le 23, à la pointe du jour dans l'Ile de Lobau, il est difficile de dire quel eût été le résultat de cette attaque. Tout ce que je ouis vous dire moi qui ai repassé la rivière et suis retourné à Ebersdorff sur le même bateau que l'Empereur, c'est qu'on n'était pas sans inquiétude à ce sujet.
A propos d'Ebersdorff, je crois que vous devez avoir fait une méprise dans votre cinquième question.
Vous dites :
"Le Prince aurait-il pu descendre sur Presbourg, immédiatement y passer le Danube, remonter la rive droite jusqu'à Enzersdorff".
,'est-ce pas Ebersdorff que vous avez voulu dire ? c'est dans ce village qu'était établi notre quartier Impérial et près de là qu'étaient jetés les ponts.
Répondez-moi un mot à ce sujet. Enzersdorff est sur la rive gauche.
Flahault

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Mon cher ami,
Je vous demande pardon si mes formes vous ont paru trop cérémonieuses, et pas assez amicales. L'intention n'était pas le moins du monde en rapport avec les apparences, car je vous tiens pour un excellent ami, et je veux toujours l'être pour vous dans la forme et dans le fond ; mais ne sachant pas si cette lettre serait ou non communiquée, je vous ai traité en ambassadeur.
Je vous prie de continuer vos perquisitons, et je me hâte de rectifier une erreur que j'ai commise dans l'énoncé de ma cinquième question. C'est Ebersdorff que j'ai voulu dire ; car autrement ma question serait un non-sens, vu qu'il n'y a pas d'Ensendorff sur la rive droire, et qu'il n'y a qu'Ebersdorff, où se trouvait en effet le quartier impérial au moment dont il s'agit. Voilà ma rectification, après quoi je vous quitte pour aller passer quelques semaines au Havre sur le bord de la mer.
Tout à vous de coeur. Mes hommages à Mme de Flahault. Mmes Thiers et Dosne vous remercient de votre souvenir, et vous envoient leurs amitiés.
A. Thiers