1833 | Madame de Souza à M Le Roi | très fatiguée

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Contenu de la correspondance

" Votre correspondance est toujours aimable, cher et bon Petit Père Le Roi, sans compter cette écriture si belle et si ferme qui me promet que vous vivrez cent ans au moins. La dernière ligne est aussi moulée que la première. Enfin je vous le dis comme je le sens, vous êtes plus jeune que moi qui ai été très souffrante. Un rhumatisme sur les reins, un échauffement de poitrine, enfin toutes les misères de notre âge et de cet horrible temps sec qui fait mal à tout le monde. Mon cher ami, je n'aime rien de sec. Et vous ? Ce qui me fait le plus souffrir, c'est une obstruction du foie qui date de mon enfance et que n'ont point guérie tous les chagrins que j'ai éprouvés. Treize révolutions que j'ai vues en France et quatre en Portugal n'améliorent point les obstructions. Oui, j'ai vu treize changements de gouvernements en France ! D'abord : Louis XV ; 2° Louis XVI ; 3° les Etats généraux ; 4° la mort du Roi ; 5° la Convention ; 6° le Directoire ; 7° le Consulat ; 8° l'Empire ; 9° la Restauration ; 10° les Cent Jours : 11° le retour de Louis XVIII ; 12° Charles X ; 13° Louis-Philippe !
" Je ne vous parle pas du Consulat à vie. C'est la menue monnaie de détail ; comme sous Louis XV, le renvoi des Parlements. J'étais trop jeune pour en disserter savamment ; mais, si je n'écrivais point à un philosophe, je dirais que leur rappel a été le premier abandon du pouvoir royal. Et, cependant, la Cour l'a bien applaudi ainsi que les philosophes d'alors. C'est comme Mme de Maintenon écrivant à Mme de Saint-Géran sur la révocation de l'édit de Nantes : " Le Roi est prêt à faire tout ce qui sera jugé le plus utile au bien de la religion. Cette entreprise le couvrira de gloire devant Dieu et devant les hommes." Tout ce qui a l'air beau est bien dangereux et est jugé presque toujours différemment par la postérité.
" Vous voulez que je bavarde? Eh bien, je vous dirai que, dans mes cinq petites-filles, il y en a une qui est un vrai garçon manqué. Elle a de l'esprit naturel et y ajoute de dire tout ce qui lui passe par la tête. Elle a dix ans. (Georgette-Gabrielle de Flahaut marquise de la Valette, Elle n'avait en réalité que huit ans !) Je ne sais quelle impertinence elle disait l'autre jour à Auguste, car elle s'enivre de son rire, de ses joies et de ses paroles quand sa mère n'y est pas et, dans ce moment, il n'y avait dans ma chambre que mon fils Auguste et moi. Auguste lui répond en riant : " Point tant de familiarités, Mademoiselle, je suis plus âgé que vous et vous devez me craindre.
" - Moi, te craindre ?... Moi ! Je te crains comme... comme (elle cherche sans pouvoir trouver et ajoute enfin) : Tiens, je te crains autant que Grand'Maman !
" Voilà une belle histoire et c'est bien la peine d'envoyer cela si loin... Adieu, mon vrai ami. On vient de nommer un ambassadeur de France près de Dom Pedro. Il emporte nos réclamations, et savez-vous que le Portugal me doit 75.000 francs ? Jugez ce que j'ai souffert ! Si vous voulez faire une bonne spéculation, je vous offre de les acheter pour moitié. Je vous donnerai quittance.
" P. S. - Je viens de relire ma lettre, très bonne habitude qu'on m'a fait prendre au couvent. Pour rien, je ne l'enverrais pas, aussi vais-je expliquer que je blâme Louis le Bien-Aimé d'avoir renvoyé son Parlement et Louis XVI de l'avoir rappelé. Il aurait dû profiter de l'absolutisme de son aïeul. Je parle là comme si j'étais sur le trône. Mais, pauvre petite particulière, j'aime assez qu'on n'exile plus, de coucher dans mon lit quand cela me convient.
" Adieu encore,cher ami. Si on lisait une lettre de M.de Polignac datée de la veille des Ordonnances, on y trouverait aussi : " Cette entreprise couvrira le Roi de gloire devant Dieu et devant les hommes. " Mais le succès fait tout. Adieu, adieu. Brûlez ce radotage, sans quoi je me contenancerai pour vous écrire. Si vous me satisfaites sur ce point, je ferai comme ma petite-fille et vous dirai tout ce qui me passera par la tête. "
 
* Madame de Souza et sa famille (baron André de Maricourt / Emile-Paul frères / p.366-368)