Revue des questions historiques (1901) Journal de Gouverneur Morris (2)

Revue des questions historiques (1901)
Journal de Gouverneur Morris,
ministre plénipotentiaire des Etats-Unis en France,
de 1792 à 1794…
traduit de l’anglais par E. Pariset.
Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1901, in-8 de VII-388 p.


 

Journal de Gouverneur Morris, ministre plénipotentiaire des Etats-Unis en France, de 1792 à 1794, pendant les années 1789, 1790, 1791 et 1792, traduit de l’anglais, par E. Pariset. Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1901, in-8 de VII-388 p.

Le journal de Gouverneur Morris n’était pas inconnu : tel qu’il paraît aujourd’hui, il est cependant nouveau. Ce n’étaient que des extraits qu’avait publiés, en 1832, Jared Sparks ; la traduction qu’en avait donnée, en 1842, Augustin Gandois, ne dispensait pas, disait Michaud, de recourir à l’original. Aujourd’hui, la petite-fille de Morris, dépositaire des papiers de son aïeul, publie le journal intégralement, tandis que jusqu’ici le tiers à peine en était connu. L’ancien ne montrait Morris que sous les traits d’un politique sensé, qui trouvait ridicules nos constituants de 1789, ridicule leur constitution ; qui morigénait l’aristocratie, qui ne goûtait pas les chefs populaires, et qui, enfin, comme rédacteur de la Constitution américaine, se croyait justement quelque compétence pour émettre certains conseils. Par des raisons de discrétion et de convenance, les impressions de l’homme du monde, du spectateur et du juge de la société française avaient été écartées.
L’intérêt de la nouvelle publication est précisément dans la reproduction de tous ces passages supprimés naguère. Le politique ne disparaît pas, mais il est replacé dans son milieu mondain. Il observe les moeurs : elles sont étranges, ou plutôt, il les montre dans le déshabillé qu’on peut soupçonner. Libres allures chez les femmes, complaisance chez les maris, paternités incertaines ou trop connues. telle femme mariée demande à Morris qui elle devra épouser, si elle devient veuve, et Morris de répondre qu’une loi prochaine autorisera le clergé à se marier ; sous-entendons l’évêque d’Autun, le même qui, auprès de la même dame, assiste à sa toilette, à son bain et qui prépare lui-même la couverture. On nous révèle sa misère, son ardeur a jeu, ses besoins d’argent, sa politique infectée de passions financières, sa fantaisie de suicide à la veille de sacrer le premier évêque constitutionnel. Ce journal, c’est une chronique, qui, sans chercher le scandale, nous montre, dans sa naïve impudence, la société du temps. A travers toutes ces confidences lestement jetées, les questions politiques courent, les questions d’argent aussi, et l’on y voit que les pots-de-vin ne datent pas d’aujourd’hui. Un appendice, composé de lettres à Washington et à Jefferson, donne des notes plus graves et d’un haut intérêt.
Morris arriva à Paris, le 3 février 1789, avec une mission semi-officielle : au commencement de 1792, il avait le titre de ministre plénipotentiaire. Son journal s’arrête au 8 octobre 1792. Cependant, sauf qelques voyages en Angleterre, il resta en France jusqu’en août 1794, où il fut remplacé par Monroe. Mais, sur cette dernière période, le journal ou tout au moins la publication actuelle est muette.
En résumé, lecture très agréable et très utile. Nous devons pourtant exprimer le regret que M. Pariset, l’habile traducteur de ce journal, n’ait pas cru devoir y ajouter une seule note. Sans doute, il est des noms qui peuvent s’en passer ; mais il en est d’autres qui, même pour les lecteurs familiers avec l’histoire de la Révolution, sollicitent une identification.