lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany | Paris, le 16 février 1813

La Comtesse d’Albany
Lettres inédites de Madame de Souza (et d’autres…)
(Le Portefeuille de la comtesse d’Albany : 1806-1824, par Léon-G. Pélissier)


 Les annotations (en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier ; “Néné” est le surnom que Mme de Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils ; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits en rouge ; l’orthographe ancienne est respectée.

 lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany
Paris, le 16 février 1813

 

Il est arrivé, ma bonne et chère amie, et gros, gras, bien portant, ces habits trop étroits, que dites-vous à cela. M de Tall[eyrand] prétend qu’il vient d’un pays de Cocagne. Quoi qu’il en soit du pays, ce qui est sûr, c’est que notre Néné n’a jamais été si bien. Que j’aurais été heureuse si vous aviés été à dîner chés moi, quand il y est arrivé comme une bombe, sans que personne ait entendu sa voiture. Ah ! ma chère amie, que j’ai été heureuse ! Je ne pouvais pas en revenir. je n’en reviens pas encore. Le voilà un riche seigneur. Aussi occupe-t-il le premier, que mon mari n’a point voulu prendre, car nous lui en avons fait hommage ; et après son refus, nous y avons casé Charles. Dites-moi en conscience : pensés-vous à revenir ? Le croyés-vous ? J’ai besoin de le savoir. Examinez-vous bien, et je garderai votre secret, envers tout le monde ; mais je ne puis vous dire combien il m’est pénible de vous espérer de saisons à saisons et puis d’être forcée de renoncer à ce bonheur qui après l’arrivée de Charles est ce que je désire le plus au monde.

Vous vous plaignés de mes lettres : hélas, que puis-je vous mander que vous ne sachiez peut-être mieux que moi de la casa ? papa s’étoit attachée extrêmement à cette pauvre petite Maillard (Comment faut-il comprendre cet adverbe souligné ?) : elle est morte et cela lui a fait une véritable peine ; nous nous occupons de la dispute Mars et Leverd (Mlle Mars et Mlle Leverd, lors de la retraite de Mlle Contat, en 1809, avaient partagé son héritage : cette succession donna lieu à bien des conflits, que l’on crut supprimer en leur faisant jouer les mêmes rôles tout à tour : enfin Mlle Leverd se renferma dans les premiers rôles, et laissa les jeunes premières à Mlle Mars, qui, en 1812, y ajouta les grandes coquettes.) à vous faire pitié. Voilà toutes nos nouvelles.

Il n’y a eu de véritable admiration, cette année, que pour Canova. L’imp[ératrice] Jo[séphine] a ces deux status que l’on dit les plus belles du monde (Voir Quatremère de Quincy, Canova et ses ouvrages. La Bibliothèque municpale de Bassano conserve les documents relatifs à ces statues et aux relations de Joséphine et de Canova.) ; moi, je ne les ai pas encore vue. J’ai un de mes gros rhumes qui me retient depuis près de quinze jours, et auparavant j’étais dans mes tristesses : alors je ne suis bonne à rien, et je vis dans une sorte d’hébètement triste pour moi et bien ennuyeux pour les autres.

Ma bonne et chère amie, venés me tirer de moi-même, cette campagne en perspective me fait peur. Je suis au moral comme ces vues fatiguées qui voyent toujours un point noir. – Dussai-je vous déplaire, je vous répetterai encore que je vous aime de toute mon âme, et que le seul jour où il me reviendra une de ces gaietés folles que vous me voyés dans ma jeunesse sera le jour où vous me parlerés de votre retour. Mille et mille complimens à M Fabre. Je voudrois bien voir le paysage dont vous me parlez, et je désirerois encore plus le voir lui-même.


[Le portefeuille de Mme d’Albany]