Lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany | août 1823

La Comtesse d’Albany
Lettres inédites de Madame de Souza (et d’autres…)
(Le Portefeuille de la comtesse d’Albany : 1806-1824, par Léon-G. Pélissier)


 Les annotations (en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier ; “Néné” est le surnom que Mme de Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils ; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits en rouge ; l’orthographe ancienne est respectée.

 lettre de Madame de Souza à la comtesse d’Albany
août 1823

 

Permettez, ma très chère amie, que je dise un mot à M Fabre, parce que ce serait une grande affaire pour moi si je pouvois vendre ce tableau, et que vous aimez qu’on s’occupe de ses affaires.

Mon cher Monsieur, ne me trouvés pas bien ennuyeuse si je vous reparle encore de mon tableau, mais le prince Eugène a acheté les galeries Arese et Zampieri. Ce tableau vient peut-être de là. Il faut que ce soit d’un grand maître, puisque Lucas de Leyde l’a gravé en 1524. C’est une vieille femme qui donne le ton sur un mauvais petit violon, et un vieillard qui le prend sur une mauvaise guittare ; leur attention pour se mettre d’accord est admirable. Si vous pouviés m’avoir la preuve que ce fût d’un grand maître, cela me ferait un grand plaisir dans ce moment-ci. Il m’a semblé que de savoir les noms des deux galeries que le prince Eugène a acheté vous faciliterait dans la recherche de l’origine de ce tableau. Pardonnés-moi l’ennui que je vous donne et la confiance que j’ai dans votre obligeance pour moi.

Actuellement, ma très-chère amie, je vous annoncerai que votre Héléna va passer l’hiver à Rome, mais que certainement elle ira à Florence, ne fût-ce que pour vous voir. J’envie bien le plaisir qu’elle aura à passer quelque tems dans votre chambre : j’aimerais bien à m’y trouver. Ses enfans sont charmans ; le petit surtout me paraît plein d’esprit. On ne parle ici que d’un prochain arrangement avec l’Espagne ; (Ces bruits étaient prématurés, et Ferdinand VII n’accorda aucune espèce de constitution.) ; il y aura, dit-on, un petit bout de constitution. On se prépare aussi à en donner une au Portugal (La constitution de monarchie tempérée que Jean VI fit préparer par Palmella.). En attendant nos vins ne se vendent rien du tout : ceux de mon mari qui sont au vin de Porto ce qu’est le vin de La Fitte au vin de Bordeaux, restent sans acheteurs. Chaque révolution ou contre-révolution me donne pour les revenus l’idée d’une charette de fumier qu’on retourne. Il faut du tems pour que l’herbe reparaisse. (Oui, mais elle reparaît plus drue et plus vigoureuse, et cela est vrai aussi pour la politique). Adieu encore, ma très chère amie. D’hier, l’été et la chaleur sont revenus, c’est heureux pour le raisin. Après s’être bien plaint, avoir bien crié, nous aurons peut-être de belles vendanges. Je vous aime, je vous aime, je vous embrasse de tout mon coeur, et je suis bien heureuse encore de votre bonne lettre que je garderai toute ma vie. Félicité se porte bien. Mon mari vous offre ses hommages.

[Le portefeuille de Mme d’Albany]