5 juillet 1822 | Madame de Souza à M Le Roi | agonie de sa soeur

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Contenu de la correspondance

" Mon bon et cher Père Éternel qui, j'espère, sauf mon respect pour l'éternité, vivra cent ans, écrivait- elle le 5 juillet 1822, je ne vous ai pas repondu tout de suite parce que votre lettre m'est arrivée lorsque j'avais bien du chagrin. J'ai perdu ma pauvre soeur après une longue et cruelle maladie. Je suis restée près d'elle jusqu'à son dernier soupir, et il m'en est resté une douleur profonde qui me suivra jusqu'au tombeau. Si j'ai de la peine, elle l'aurait partagée, si quelque chose me plaît, je regrette qu'elle n'en jouisse plus. Enfin son souvenir m'est toujours présent. Il aggrave les maux et affaiblit le peu de biens qu'il y a dans la vie. Pauvre bonne sœur ! Elle était douce, faible, résignée à l'infortune et résignée aussi à la douleur. Elle ne se plaignait jamais et, dans cette horrible agonie, je tenais sa main et lui ai dit : " Souffres-tu, ma bonne ? " Elle m'a répondu " Pas trop ". Cependant elle étouffait, car l'eau la gagnait ; mais son affection ou son courage l'ont toujours empêchée de dire un mot qui pût m'affliger. Ah! je la regrette de toute mon âme, mais je ne veux pas vous affliger, mon excellent ami. Ce serait mal répondre à votre lettre à laquelle j'ai été bien sensible et où que je sois, et dans quelques dispositions où je me trouve, votre amitié me fera toujours du bien.
J'ai écrit le mot Fin au nouveau roman ; (La comtesse de Fargy.) mais à présent il y a le chapitre des corrections, des points, des virgules ; enfin le vrai ennui après avoir composé. Vous aurez un des premiers exemplaires dès qu'il paraîtra. Il y a un aimable vieil ami d'une jeune personne et je vous ai mis sur mon chevalet pour qu'il pût être orné par tous les âges. Dites à Mme votre nièce qu'elle vous embrasse, car c'est vous que j'ai voulu peindre. Je ne suis point la jeune personne, mais cependant je dirais volontiers comme Mme de Fourqueux : " Sans ma " mémoire et mon miroir, je croirais encore avoir vingt " ans. ".
" Je ne consens pas que vous alliez dans la préfecture de M. de Nugent sans du moins passer par Paris, j'ai besoin de vous revoir, mon pauvre ami, de parler avec vous de mes chagrins, car votre coeur est jeune aussi et il y prendra part. Depuis le premier jour où je vous ai connu, j'ai senti tout ce que vous aviez de bon, d'aimable ; cette manière si simple de n'exister que pour les autres, cet esprit si gai qui anime tout et cette égalité d'humeur que je n'ai vue qu'à vous... et peut-être à moi, si j'ose le dire, cependant pas si parfaite que la vôtre. Écrivez-moi quelquefois si vous vous réveillez avec le désir de faire un vrai plaisir à la personne qui vous a le mieux apprécié, et moi je vous prie, quand vous mettrez de l'ordre dans vos amitiés, de me placer au premier rang. Croyez que la mienne peut hautement l'attendre de vous. Nous n'avons ici aucunes nouvelles. Les places à l'Académie se donnent sans faire plaisir à ceux qui les reçoivent. Les malheurs de la Grèce ne touchent que le temps de lire les gazettes. Tout s'éteint avant de briller quant à l'Académie et, pour les Grecs, on trouve que ce sont des impertinents de vouloir être libres, avoir une patrie et défendre leurs pères, mères et enfants. Le grand système est de rester comme l'on est sans prétendre être mieux. Peut-être a-t-on raison pour si peu qu'il y a à vivre. Mais voilà que je retombe dans mes tristesses. Ainsi je vous quitte, mon excellent ami... "
 

Madame de Souza et sa famille (baron André de Maricourt / Emile-Paul frères / p.324-326)