1819 | Charles de Flahaut à Hortense de Beauharnais | Mme de Souza ruinée

Toutes les correspondances de l'année
Contenu de la correspondance

"J'ai voulu vous écrire chaque jour depuis mon arrivée ici et même j'ai commencé plusieurs lettres, mais , mon amie, il m'a été impossible de le faire, j'avais trop à dire, j'étais trop malheureux pour pouvoir vous écrire sans vous ouvrir mon cœur, et ce que j'avais à dire ne pouvait se confier qu'à une occasion aussi sûre que celle dont je profite aujourd'hui. Jugez donc, mon amie, ce qu'est devenu le bonheur que vous prévoyiez pour moi et auquel je m'attendais aussi, quand, en arrivant ici, j'ai trouvé la mère (Mme de Souza) d'Auguste ayant dépensé tout ce que son fils lui avait laissé et elle-même criblée de dettes. Ce pauvre enfant n'a plus au monde que la faible somme qui, par les soins d'une véritable providence, avait été placée entre les mains de son grand-père (M de Souza). Vous souvenez-vous, mon amie, de ce qui, autrefois, l'avait portée à engager sa fortune (des saphirs) et de sa promesse de renoncer pour toujours à l'horrible goût qui l'avait entraînée à cette faute ? Eh bien, c'est encore cette funeste passion qui l'a entraînée dans l'abîme. Elle a fait même engagé ce bandeau que vous lui aviez laissé et que je vous renvoie, car, grâce au Ciel, nous avons pu le ravoir. Mais ce qui met le comble au malheur, c'est que toutes ces circonstances sont accompagnées d'une dissimulation, d'un oubli de tout principe et d'un endurcissement qui font un mal affreux. Enfin, mon amie, fortune, confiance, bonheur intérieur, tout est détruit dans cette famille. J'aurais peut-être balancé à vous exposer ses torts si, connaissant votre amitié et votre confiance en elle, je n'eusse senti combien il était important que vous fussiez éclairée. Vous devez sentir, mon amie, ce que je souffre pour ce pauvre Auguste, en voyant ses espérances détruites, et ce qui est pire, le sachant dans des mains qui ont prouvé être incapables de l'élever dans de vrais principes d'honneur. Il est donc important de l'en retirer, et de voir quelle est, pour cela, la meilleure marche à suivre. Dites-moi, je vous prie, ce que vous en pensez. Il est bien spirituel et d'un caractère bien doux et bien aimable. Depuis le peu de temps qu'il est à l'école, il a fait de grands progrès, mais le latin, et ce que donne l'étude, ne suffit pas et je le regrette, ce ne peut plus être où il est qu'il se formera pour le reste…
Je vous envoie le portrait de votre petit neveu. C'est ma femme qui l'a fait. Elle l'aime beaucoup, le trouve très gentil et avait exprimé le désir de le faire pour son grand-père ; mais j'ai eu bien de la peine à la décider à le livrer sans être tout à fait fini. Aussi, il est frappant de traits et de pose. Ma femme le trouve charmant et a deviné sur-le-champ mon affection pour lui. Elle serait charmée de l'emmener si nous partions d'ici. Je ne doute pas que si vous vouliez qu'elle connût l'intérêt que vous y prenez, cela n'ajoutât à celui qu'elle lui porte. Mais, pour cela, il faut que vous le veuilliez. La seule chose que je puisse dire, c'est qu'elle est parfaitement digne de confiance…
Nous regarderons bien souvent le petit tableau que vous avez envoyé. Auguste est enchanté de l'horloge et est quelquefois, dès sept heures du matin, à la porte pour l'entendre sonner, mais je n'ai point reçu les romances dont vous me parlez et qui m'auraient fait bien plaisir, quoique aujourd'hui j'en aie peu à chanter. Ecrivez-moi exactement, mon amie, et adressez-moi vos lettres par Gabriel (Delessert) qui m'a offert aussi de se charger des miennes."

Morny, un voluptueux au pouvoir (Rouart / Gallimard)
Morny, l'homme du second empire (Dufresne / Perrin)
Morny et son temps (Parturier / Hachette)
Flahaut (Françoise de Bernardy / Perrin / p.203-205)